Entretien avec |
|
Musique
& concerts Il y a maintenant 55 ans, pierre d'Arquennes fondait le Triptyque,
devenu, depuis, une véritable institution de la musique française. |
|
Enfin, 1987 a fêté les 80 ans de Pierre d'Arquennes - une date à marquer:
bientôt 60 années passées au service de la musique! avec un dévouement,
une discrétion exemplaires, et - ajoutons au risque de violer cette discrétion
- quelques talents non moins remarquables, dont entre autres ceux de pianiste,
professeur, critique, directeur de revues musicales, ... il fut également
directeur de l'École Normale de Musique, etc. |
|
Personne ne connaît vraiment vos propres origines musicales. Comment avez-vous commencé la musique ? o J'ai commencé la musique en jouant de la cithare - il parait que j'en
jouais très bien, mais je ne peux pas vous le garantir... Ma grand-mère
me gâtait beaucoup : elle m'avait offert un phonographe, et j'écoutais
sa collection de disques avec le plus grand plaisir ; aussi dès que j'ai
eu l'âge de demander quelque chose à mes parents, j'ai demandé à jouer
du piano. Au fond, je suis parti avec l'idée de jouer du piano. |
|
Vous avez bien connu Ravel Comment l'avez-vous rencontré ? o Je travaillais l'harmonie avec Lucien Garban, qui était directeur artistique de la maison Durand, et chaque semaine, j'allais prendre mes leçons dans son bureau. Or, Lucien Garban s'occupait beaucoup de Ravel - il a été pour lui un ami incomparable - et il m'a demandé un jour d'accompagner Ravel (au concert, etc.) parce qu'il avait de petites défaillances : il ne reconnaissait pas toujours les gens. C'est ainsi que je l'ai beaucoup suivi à la fin de sa vie. Pouvez-vous nous parler de Ravel, l'homme? o Ravel était l 'homme le plus simple au monde. On ne pouvait pas concevoir que c'était un génie. C'était un "dandy", mais pas du tout un musicien "visible" : il était simple, naturel, d'une gentillesse folle, entouré d'un noyau d'amis. Il avait arrangé Monfort l'Amaury un peu à son image : tout était raffiné, sans luxe ostentatoire - Ravel était la simplicité même. Avait-il conscience de sa valeur? o Sûrement, mais il n'en parlait pas. A la fin de sa
vie, quand il entendait sa musique, il ne la reconnaissait pas toujours
(à cause de cette tumeur au cerveau) : ça a été pour lui un chagrin profond.
Avait-il une idée de l'influence qu'un musicien peut avoir sur l'esthétique d'une époque - la sienne par exemple ? o Je crois qu'au fond il était sûr de son métier accompli.
Il a aimé des esthétiques différentes: il s'est beaucoup intéressé à l'école
de Schoenberg, à Gershwin (qui était venu lui demander des leçons), il
s'est intéressé au jazz, à quantité de choses ; il a peut-être été influencé
par certaines d'entre elles, mais il était quand même avant tout Ravel.
Il est d'ailleurs frappant que son oeuvre la plus populaire soit le Boléro... o Le Boléro est devenu une musique de film, une musique de fond sonore ... Vous savez, Ravel s'est fâché avec Toscanini, parce qu'il trouvait que Toscanini prenait un mouvement trop vif. Il ne voulait pas que l'on fasse de ce Boléro une danse ; il voulait que ce soit une chose statique. Avez-vous parlé d'interprétation avec Ravel? o Il n'aimait pas ce que l'on appelle une interprétation. Il disait toujours: "Tout est écrit". Quand je lui ai demandé un jour quel pianiste jouait le mieux son oeuvre, il m'a répondu: "Jean Doyen ... ou un piano mécanique !" Il ne voulait pas que l'on ajoute quoi que ce soit à ce qui était écrit. D'ailleurs, si vous prenez une partition de Ravel, tout y est parfaitement indiqué. Mais le deuxième mouvement du concerto en sol, vous n'allez pas le jouer comme une machine? o Non, mais si on le joue comme une machine sensible, c'est bien. Oui, mais cette sensibilité, c'est celle de celui qui joue. Alors il faut bien qu'elle rencontre celle de l'auteur. o Oui, ce sont deux intelligences indispensables qui se marient. D'ailleurs, je crois que nous sommes revenus maintenant à une époque sans doute plus scientifique, mais on a un petit peu perdu le sens de la personnalité. Quand on allait écouter des pianistes il y a 30 ou 40 ans, on disait : "le son de Cortot", "le son de Nat", "le son de ... " , de tous les grands pianistes de l'époque. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes jouent bien, vite, sans faute, avec une mémoire impeccable, mais ... il ne reste rien : ils ont oublié l'âme. Pour les instruments, c'est la même chose : avant, on reconnaissait un Pleyel d'un Gaveau ou d'un Erard. Les instruments modernes ont tous un beau son, mais sans âme. Est-ce que tous ces grands musiciens que vous avez connus s'intéressaient à d'autres musiques que la leur ? o Vous savez, dans toute ma carrière, les seuls musiciens qui m'aient incité à faire jouer la musique des autres, ce sont Roussel, Koechlin et Schmitt. Ils avaient tous les trois une curiosité amicale pour les gens autour d'eux. Les compositeurs d'aujourd'hui, quand ils ne sont pas sur le programme, n'écoutent pas les oeuvres des autres, parce qu'ils ne veulent pas se "pervertir l'oreille" - c'est ce qu'ils m'ont dit à plusieurs reprises. Parlez-nous de ces trois compositeurs... o Roussel...était un marin. Il a bouleversé son époque par sa création. Il y a certainement chez Roussel un besoin expressif dans le mouvement extraordinaire. Ses symphonies ont apporté quelque chose. Et puis il a été le professeur de beaucoup de gens à la Schola, qu'il n'a pas forcément influencés, mais à qui il a ouvert des portes Satie a été l'élève de Roussel. On ne joue pas beaucoup Roussel... o On chante ses mélodies - c'est le cinquantenaire
de sa mort... Mais Roussel a toujours eu beaucoup plus d'importance à
l'étranger qu'il n'en a eu en France: on l'a beaucoup joué en Amérique,
sous la direction de Charles Münch, par exemple. Il est quand même l'un
des grands musiciens français. Et Schmitt... o Florent Schmitt était, à mon avis, un type extraordinaire. Les gens croient qu'il était méchant, mais il ne l'était pas. On l'avait surnommé le "sanglier des Ardennes", mais au fond, si l'on grattait un peu la surface, c'était un homme qui avait du coeur. Il avait une telle joie d'écrire que lorsqu'il y avait un silence de trois minutes dans une partition d'un instrument, il ajoutait quelque chose. Ce qui fait que sa musique est parfois trop confuse, trop dense ... Vous avez bien connu également Dukas et Honegger ? o Dukas était un homme secret, un inquiet. Quand on songe
qu'il n'a écrit que des chefs-d'oeuvres, mais si peu - et qu'il a tout
détruit ! Il était, parait-il, un professeur admirable ; tous ses élèves
en ont gardé un souvenir ému. Ce qui frappe dans les compositions de Poulenc, ce sont ces oppositions entre l'extrêmement grave - où il peut aller vraiment très loin - et puis ce côté pétillant, sa joie de vivre très parisienne. Comment expliquez-vous cela ? o Lorsque l'on voyait Poulenc, on sentait tout de suite
qu'il était un homme à deux faces. Mais au fond, ce qui restera, à mon
avis, de plus intéressant chez Poulenc, c'est quand même sa musique religieuse,
son opéra et ses mélodies. C'est un musicien d'esprit. Vous devez avoir une foule de souvenirs sur les interprètes... o J'ai organisé le premier concert de Gérard Souzay.
Si on parle des chanteurs, j'ai fait chanter : Bernac, la soeur de Gérard
Souzay-Geneviève Touraine Germaine Cernay, Ginette Guillermin, Noémie
Pérugia naturellement - une fauréenne remarquable - Jane Bathori ... Qu'est-ce qui vous a particulièrement frappé chez tous ces artistes ? o Je peux dire ceci : à cette époque, quand je demandais à tous ces gens connus de venir jouer, ils venaient simplement, sans histoire. Maintenant, beaucoup commencent par demander s'ils auront un cachet. De plus, je trouve qu'il y a un manque de passion, de curiosité pour ce qui est de la musique de nos jours. Prenez le cas d'Yvonne Loriod, par exemple: elle a créé des quantités de choses, toujours avec la plus grande joie. Mais aujourd'hui ! ... Est-ce que cela n'est pas dû, en partie, à la difficulté de la vie actuelle? o Ecoutez, les musiciens aujourd'hui, souvent, ont des
aides, ou bien ils jouent dans des orchestres symphoniques, des orchestres
de chambre : ils y gagnent plutôt bien leur vie. Ils sont beaucoup plus
aidés que nous ne l'étions à l'époque. C'est à dire qu'il y a un rapport à la musique qui n'est pas du tout le même qu'à l'époque? o Je ne sais pas. Je crois que beaucoup d'interprètes aujourd'hui - et heureusement pas tous - considèrent cela comme un "métier". Ils sont professionnels avant d'être musiciens ? o Oui, mais on peut être les deux: musicien et professionnel. Ils ont fermé une petite porte, la porte secrète. Ils ont fermé la porte du don : ils ne savent plus ce que c'est que donner; c'est très curieux. Pouvez-vous nous parler de l'évolution de la musique et de la vie musicale depuis vos débuts? o Entre 1933 et 1980, il est certain que la musique a
quitté son quartier social, en ce sens qu'elle était surtout pratiquée
il y a cinquante ans par ce que je nommerais la bourgeoisie bien pensante,
et qu'à l'heure actuelle il y a une évolution très nette vers la musique
pour tous, le disque, la radio : tout cela a apporté une espèce de curiosité
. Pourquoi cette curiosité, cette envie de jouer, n'existent-elles plus en France? o Les gens sont désabusés. Et puis, disons les choses
comme elles sont : lorsque j'ai commencé à jouer à la radio, il y avait
quatre postes nationaux à Paris. Maintenant, il n'y en a plus qu'un seul.
Et y entend-on des solistes? Un de temps en temps, et beaucoup de disques.
Mais alors, vous êtes très pessimiste... o Je ne suis pas du tout pessimiste. Il y 8 une évolution
- qui ne se fait pas toujours comme on le souhaiterait. Oui, mais cela ne vient pas uniquement d'eux : ils sont quand même aussi le résultat de la façon dont ils ont été formés... o Ecoutez, nous avions d'abord le respect du maître.
Aujourd'hui, lorsque l'on propose un morceau à un enfant, il vous répond
que ça l'embête... Ils veulent jouer des petites pièces à la mode, ce
que jouent leurs camarades, des arrangements un peu "jazz", etc. Sans doute, mais au niveau professionnel, on voit des jeunes qui parlent peut-être de nuances, mais jamais de phrasé, d'articulation ou de respiration. Et cela, visiblement, parce qu'on ne leur en a jamais parlé... Ils savent, théoriquement, jouer du piano, mais sur le plan musical... o Je crois que c'est le défaut de l'éducation actuelle:
tout est visuel et ils ne réfléchissent pas assez. Ils n'ont pas de réflexion
intérieure. On va vite, longtemps, on lit rapidement. Et tout reste en
surface. Vous n'avez pas fini de nous parler de votre formation. Vous avez voulu jouer du piano... o J'ai eu la chance de travailler avec un professeur
russe absolument remarquable, qui était une camarade de classe d'Horowitz.
Comme j'étais étranger (je suis né de parents belges), je n'avais pas
droit au conservatoire, alors j'ai travaillé en privé avec Lazare Lévy.
Vous avez donné des concerts aussi, bien sûr? o Oui! J'ai commencé à jouer en 1932 en concert, et à
partir de 1933, j'ai commencé à donner des concerts à quatre mains régulièrement
à la radio, des récitals à Paris, en province, à l'étranger. Avez-vous commencé à enseigner très tôt? o Très rapidement, oui. J'ai toujours aimé l'enseignement.
Pendant la guerre, je me suis arrêté de jouer parce que je ne voulais
pas faire de musique à Paris - je faisais de la musique au Triptyque,
mais je ne jouais pas moi-même ; et au fond, si vous regardez les
1360 programmes du Triptyque, vous y verrez très peu de fois mon nom.
Si nous parlions maintenant de la critique. Comment êtes-vous venu à la critique? Quelles sont, à votre avis, les qualités d'un bon critique et d'une bonne critique? o J'ai commencé en 1938, au Petit Parisien: c'est M.
Kiesgen qui me l'avait demandé - ce qui m'a permis, pendant de longues
années, d'aller chaque soir au concert, où je retrouvais toujours les
cinq ou six critiques qui se promenaient de salle en salle : il y avait
Claude Chamfray, Maurice Imbert, René Dumesnil, Pierre Leroy, notre cher
Gavoty - et naturellement, le grand critique Vuillermoz, qui ne s'occupait
que des choses très importantes. Nous nous retrouvions tous les soirs.
Comment devient-on critique ? Faut-il avoir des dispositions particulières ? o Généralement, on devient critique parce qu'on vous
le demande. Comme il arrive que les critiques soient, au départ, des musiciens
ratés (mais ce ne fut pas le cas de ceux que j'ai connus), en premier
lieu, il ne faut pas avoir de haine. Peut-on admettre qu'un critique ne soit pas musicien ? o Oui - Baudelaire a admirablement parlé de la peinture
- mais il faut distinguer la critique interprétative de celle des oeuvres
nouvelles. Croyez-vous que cet idéal existe encore aujourd'hui chez les critiques ? o Je le crois, malheureusement, on ne leur donne pas
la possibilité de s'exprimer : lorsque l'on veut aller entendre ML Horowitz,
on vous répond qu'il n'y a plus de place... Parlez-nous des grands pianistes français ... o Nous avons eu en France des pianistes fantastiques.
Mais, pour moi, le plus grand, c'était quand même Cortot. Cortot était
un médium. Il recevait la musique, il la donnait - avec quelquefois peut-être
un peu trop de romantisme - mais c'était un type sensationnel. L'intelligence
musicale de Cortot, sa sensibilité musicale, était quelque chose d'unique.
Mme Long était une pianiste Cortot était un musicien ; Nat était un musicien. Vous avez bien connu Cortot ? o Je l'ai assisté de 1940 jusqu'à sa mort. .. On dit
toujours de Cortot - et c'est vrai qu'il ne travaillait plus, mais enfin
..., il arrivait à l'École Normale à neuf heures le matin ; jusqu'à
midi, il s'enfermait, il écrivait quarante lettres - il écrivait beaucoup
- il s'occupait de tout à l'École Normale, il avait une grande
fonction diplomatique. Quels ont été ses disciples les plus importants? o Samson François, Dinu Lipatti, Clara Haskil, Marcelle
Meyer, Yvonne Lefébure, Vlado Perlemuter, etc. ont été ses élèves, et
il leur a laissé, à chacun, leur personnalité profonde. Il avait une façon "magique" de jouer les Scènes d'enfant. Maintenant, on joue ces Scènes d'enfant beaucoup trop vite... o Quinze fois trop vite. Pour moi, ces Scènes, c'est
un coeur qui parle à d'autres coeurs, mais maintenant, cela devient des
petites pièces de virtuosité. Dans les débuts du T triptyque, les salle étaient-elles pleines? o Elles étaient assez pleines, et pendant la guerre,
comme le Triptyque était la seule association qui ait fonctionné, les
salle étaient toujours très remplies : il n'y avait pas d'autre association
à Paris, je ne jouais que de la musique française, alors les gens venaient.
Comment votre association a-t-elle évolué ? o Je n'ai songé qu'à la musique - celle d'hier et celle
d'aujourd'hui. Le miracle est de durer. Lorsque j'ai fondé le Triptyque,
il y avait quinze associations à Paris - elles sont toutes mortes. Et les concerts au Triptyque ont toujours fonctionné de la même façon ? o Toujours. Au départ, à la salle des Arts et des Lettres,
nous vendions la place trois francs - pour payer la salle. Ensuite, très
rapidement, je me suis rendu compte que la musique française - et spécialement
la musique française contemporaine - s'adressait à un public particulier
de gens aimant cette musique mais qui ne voulaient - ou ne pouvaient -
pas payer. De plus, cela se passait dans un cadre amical : on laissait
entrer facilement les gens que l'on connaissait. .. Qui paye les salles, alors ? o L'association, par ses adhérents. Et j'ai toujours eu la chance d'être subventionné. Les subventions existaient déjà avant la guerre; à l'époque, elles n'étaient pas très importantes - mais les frais non plus ... Comment a évolué votre subvention ? o Comme pour toutes les associations elle a suivi l'évolution
du coût de la vie. J'avais, par exemple, une aide de 1000 francs, qui
me permettait, avec les cotisations des adhérents, de faire deux ou trois
concerts à l'époque ; ensuite, elle est montée à 10.000, et je
suis même arrivé à avoir une subvention de 30.000. Maintenant, elle est
tombée à 20.000. Que vous donne-t-on comme justification pour cette diminution ? o Qu'il n'y a pas d'argent et que c'est de la musique
qui ne les intéresse pas ! Il y a une somme globale à partager : on sert
en premier les théâtres nationaux, les orchestres (n'oubliez
pas qu'avant la guerre, les Pasdeloup, les Lamoureux, etc., étaient des
associations de gens qui venaient jouer pratiquement gratuitement, c'était
un honneur pour eux. Maintenant, cela n'existe plus, ils sont payés -
ils gagnent même très bien leur vie ... ) La radio a deux grands orchestres
... 80 % ? o Un seul à 150 francs Mais, c'est incroyable parce que tous ces compositeurs s'ils ne sont pas joués chez vous ou à la Nationale ou à l 'U.F.P.C., ils ne sont joués nulle part... o Oui, mais ils ne s'en rendent pas compte ... Est-ce que par rapport à cette époque fabuleuse d'entre les deux guerres, la période actuelle est florissante pour les compositeurs français ? o Florissante, oui - mais pas pour la musique de chambre. Et pour de bonnes raisons: personne ne veut faire de l'édition ; il n'y a pas de public pour la musique de chambre ; les gens se déplacent peu pour venir écouter les mélodies françaises ... Que pensez-vous de l'interprétation actuelle des oeuvres? o Il faut avoir le respect du texte, mais nous ne pouvons
pas savoir comment Bach, Beethoven, Schubert, etc., voulaient que l'on
interprète leurs oeuvres - d'autant que les instruments ont évolué et
que le tempo de la vie a changé. Il faut essayer de recréer l'oeuvre
en restant non pas dans le style le style bouge, c'est une question de
mode mais dans l'opinion du créateur. C'est ce que voulait dire Debussy, je crois, lorsqu'il disait que l'indication métronomique n'était valable que pour la première mesure? o Voilà. Sa fille, Chouchou, a eu un très joli i mot.
C'était un génie cette enfant ; elle est morte très jeune du croup,
à12 ans, mais toutes ses lettres ont été conservées À la Bibliothèque
Nationale. A quelle époque cela se passait-il? o Entre 1927 et 1940. Il a joué jusqu'en 1940. C'était
un homme riche qui n'avait pas besoin de gagner sa vie. Il recevait tout
Paris dans son hôtel particulier : les gens riaient un peu, mais on y
allait quand même; c'était intéressant. Il a fait une carrière de pianiste
du monde ; il était connu de tout le monde : il était tellement excentrique
... Avez-vous connu Satie? o Non, je le regrette. Il a évolué dans un monde qui
n'était pas du tout le mien à ce moment-là. C'était le monde de la Princesse
de Polignac; lorsque je suis allé chez la Princesse de Polignac, il était
déjà mort. Dans quel milieu avez-vous évolué ? Quels sont vos amis? o J'ai connu des gens très importants ; j'ai toujours
été entouré de gens extraordinaires. Je ne regretterai rien de la vie,
ayant toujours conservé l'oeil critique, malgré des admirations à cent
pour cent, parce que chez chacun j'ai pu trouver le côté spirituel et
émouvant de l'être. Vous composez ? o Oui. Et peut-on entendre vos compositions? o Non. Il faut savoir ce que l'on vaut et ce que l'on peut. J'ai beaucoup donné pour la musique française, pour les jeunes, j'ai fait humainement ce que je pouvais faire, je continue encore - je n'ai pas de regret. Votre vie a toujours été très remplie... o Oui. Je vois des gens, c'est ce qui m'intéresse. Tant
que je serai en contact avec des gens, je serai intéressé. C'est pourquoi
je regrette qu'il n'y ait plus cette espèce d'union de la musique : il
y avait, jadis, quantité d'endroits où l'on se retrouvait ; maintenant,
quand on va au concert, on ne connaît plus personne. Propos recueillis par Marie-Pierre Soma et Françoise Aubry. *
|