Dans cinq milliard d'années le soleil explosera, abandonnant
la terre. Et, pour l'humain, la mélodie originelle, l'explosion
initiale de la Matière s'éteindra dans la violence même
de sa création.
Ce premier bruit, ce fut le "big-bang". et le bruit s'est
organisé. L'harmonie vint peut-être avant la parole: l'enfant
dans le ventre maternel perçoit le son avant le sens.
Une théorie récente veut que la Bible soit poème
musical et chanté, la partition perdue de l'impossible harmonie
entre Dieu et ses créatures, entre la société et
ses individus.
Impossible harmonie: notre fin de siècle vit aussi dans la nostalgie
d'un "ordre perdu". Nous faisons face à un "impossible"
qui est peut-être le signe d'une réalité longtemps
refoulée. L'écriture, la musique nous transmettent cette
réalité oubliée, la sensibilité d'une époque,
les pulsions d'un moment historique.
Aujourd'hui Mozart, Schubert, Schumann n'écriraient pas selon
les mêmes règles. Ils seraient témoins des égarements,
des violences, des révolutions de notre temps. Mais ils écriraient
encore des mélodies.
Mélange de poésie et de musique, d'imaginaire et de réel,
de sensibilité et de lucidité, la mélodie n'est
pas un art du passé. Elle nous dit quelque chose de l'âme
humaine - elle monte du ventre, symbole de l'âme, vers le coeur,
vers la voix, vers les autres. N'est-ce pas la définition même
du génie ravélien que je donne ainsi?
Pour la quatrième concours du Triptyque, créé par
Pierre d'Arquennes, c'est RAVEL que nous fêtons, en cette année
du Cinquantenaire. Dernier secrétaire de Ravel, Pierre d'Arquennes
a connu le "Frégoli" de la création musicale,
tour-à-tour grec, Espagnol, Juif, Français, universel,
au gré de son imaginaire, au gré de son écoute
passionnée des autres et des forces vivantes de la Nature.
Le lyrisme personnel, la prosodie nouvelle de ses mélodies nous
frappent encore. Pierre d'Arquennes définit ainsi Ravel: "Curiosité,
écoute de son époque et en même temps, singularité
extrême". Cet intellectuel enfermé dans son monde
intérieur est devenu le plus universel de nos contemporains.
Quelle leçon pour notre siècle bloqué, sans regard,
usé d'égoïsme et de violence!
Nous fêtons de la même façon les trois compositeurs
des trois premiers prix du Triptyque: Duparc, Poulenc, Fauré
- et bien-sûr toutes la création contemporaine, de Roussel
à Boulez, de Chausson à Castérède, de Debussy
à Messiaen.
Nos finalistes sont, cette année encore, la preuve qu'un courant
existe, sans frontières, pour redécouvrir la mélodie
et la poésie.
Et vous prouvez, celte année encore, que le combat de Pierre
d'Arquennes depuis 1934 pour la création contemporaine est nécessaire.
Par votre présence, par l'attention que vous voudrez bien offrir
à nos finalistes, pour la continuité d'un art majeur,
la mélodie française.
Vous êtes au Triptyque avec vos espoirs, vos rêves, vos
questions, avec tout ce qui fait l'humain et que nous confondons avec
nos égoïsmes, nos soucis, nos limites.
La mélodie est faite de la même pâte, subjective
comme nos paroles, universelle comme la musique.
Quelle mélodie notre siècle offrira-t-il à l'Avenir?
Un mélange d'horreur et de connaissance; de haine et de passion,
d'injustice et d'espoir. Un préfiguration du dernier instant
convulsif de la planète, quand l'humain sera sommé de
fonder ailleurs et autrement l'existence: dans l'air, dans l'espace
- comme la mélodie.